À la pêche aux mots
pour dire ce que je pêche,
ça mord presque, parfois.

J'ai pris la friture aux éclats de lumière,
(perches jaunes, crapets, perches soleil)
d'un cœur léger je les remontais
puis je les enfilais sur la grève.
C'était notre  ‘bonne petite bouffe' ,
ça se mangeait avec les doigts, en riant.

Un jour, rêvant de poissons d'eaux exotiques,
j'ai ferré une carpe de soixante dans le Michigan.
J'étais monté en nylon si fin
qu'un copain pêcheur me dit, hochant la tête :
« Ça va casser, certain, elle va s'enrouler et s'échapper. »
Il m'a fallu un quart d'heure pour l'amener –
lâcher du fil, en reprendre – dans mon épuisette,
syllabe après syllabe, je l'ai laissé venir
jusqu'à ce qu'elle se débatte sur l'herbe :
elle fut assez grosse à elle seule
pour que chacun de nous trois y trouve son saoul
de stratégies neuves pour l'hameçon, l'armure, la ligne, la canne.

En eaux profondes, je suis heureux pêcheur ;
à la Canicule les truites de lac se jettent
sur ma cuillère au frémissement argenté.

Oh, j'ai essayé lune, thermomètres-
amorce, lieu, moment, selon les règles de l'art-
dans l'espoir de ferrer le chef-d'œuvre,
le muskellunge impérial du Minnesota,
le brochet sans pareil du Canada.
D'un livre bien souvent feuilleté
j'ai calé la poignée de ma canne préférée,
pour pêcher avec mon cœur.

Malgré ce bel effort,
je n'ai pour tout bagage
qu'astuces et adages –
il y a tant que j'ignore
dans ce petit pois de cervelle qui m'échappe encore –
et croire qu'elle puisse venir,
pilote des mots-mirages
qui m'attirent
vers ces rivages.